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‪Les 7 étapes de la naissance du conflit des chauffeurs VTC face à Uber, et les 4 défis pour demain  ‬

1 : Le contournement de la loi :‬

‪En 2015, pour contourner la nouvelle réglementation sur les VTC, Uber, comme d'autres plateformes, ont utilisé le statut LOTI (destiné au transport de groupe sur réservation, c'est à dire minimum deux personnes) pour accroître leur offre de mise en relation avec des chauffeurs. J'ai d'ailleurs testé cette réalité ce lundi soir à Paris par le biais d'une réservation sur une grande plateforme française. C'est bien un chauffeur LOTI qui est venu me chercher alors que j'étais seul. C'est illégal. Les chauffeurs étaient ainsi recrutés sans qualification et sans vérification de leur honorabilité (contrairement aux taxis et aux VTC). Les prix du marché ont été cassés (jusqu'à moins de 4 euros la course) pour concurrencer directement les taxis et mettre la pression sur les chauffeurs de VTC qui demandaient des prix plus élevés pour rémunérer leur travail. Les LOTI ont été utilisés comme de la chair à canon contre le VTC et le taxi. Certaines start-up françaises résistent alors, mais difficile de le faire face à une entreprise en situation de quasi-monopole qui casse les prix du marché. Uber est devenue une plateforme LOTI pour 70% des chauffeurs mis en relation et non plus une plateforme VTC contrairement à ce qui est souvent écrit. L'arrivée massive de milliers de LOTI en région parisienne a totalement déstructuré le marché. C'est un véritable schéma d'optimisation sociale et un contournent massif de la loi qui ont été mis en place dans une logique implacable de dumping social.‬

‪2 : La colère des taxis :‬

‪En Janvier 2015, les taxis se mobilisent contre cette concurrence déloyale. Leur mouvement est caricaturé, nous sommes à l'ère du taxi bashing. Ce serait le vieux monde contre le nouveau monde. Les taxis demandent alors l'application de la loi bien conscients qu'Uber était en train d'imposer un état de fait à l'État de droit. Je suis alors contacté par le Premier Ministre Manuel Valls pour intervenir dans le conflit dans le cadre d'une mission, comme je l'avais fait dans le conflit opposant les artisans aux autoentrepreneurs en 2013. Difficile alors pour les taxis d'accepter une nouvelle médiation après en avoir déjà eu une un an et demi avant. Malgré quelques bâtons dans les roues d'Emmanuel Macron qui fait alors des déclarations dans la presse qui mettent de l'huile sur le feu, nous nous mettons autour de la table et commençons le travail. J'ai rencontré beaucoup de chauffeurs, taxis et VTC pour comprendre la situation. Et j'ai découvert des situations sociales critiques dans le taxi comme dans le VTC. Pour ces derniers, Uber avait promis aux jeunes des courses à 30 ou 40 euros, ils en sont à moins de 4 euros. Comment peut-on payer ses charges (location du véhicule, essence, assurance professionnelle, cotisations sociales, ...) et se rémunérer à ce prix ? ‬

‪Ainsi, quelques jours après avoir été nommé en mission, j'ai déclaré sur les réseaux sociaux le 31 janvier 2016 que "la paupérisation, imposée par certaines plateformes, frappait les chauffeurs de taxis et de VTC. C'est aussi le débat que nous devons avoir". J'avais alors mis un mot sur une réalité sociale, la paupérisation, et me suis attiré les foudres d'Uber, et de son patron Europe qui remettait en cause ma neutralité dans le débat. Il ne fallait surtout pas parler de paupérisation ! J'ai découvert alors les méthodes d'Uber qui visent à décrédibiliser en permanence ceux qui ne sont pas d'accord avec sa stratégie. ‬

3 : Uber défie l'État :

‪Face à la situation de tension sur le terrain, les contrôles sont alors renforcés. Je mets en place des groupes de travail avec les taxis, les VTC, les LOTI et les plateformes pour proposer des solutions durables. Les plateformes se scindent alors en deux associations : d'un côté l'UNAM qui représente Uber et une société de location de voitures, de l'autre la FFTPR qui représente les start-up françaises qui ne veulent pas etre associés au comportement d'Uber. Nous demandons aux plateformes de transmette les informations nécessaires sur les chauffeurs avec lesquels elles travaillent. Les plateformes refusent alors en mettant en avant l'actuel rédaction du Code des transports. Elles refusent de communiquer le nombre de chauffeurs LOTI avec lesquels elles travaillent. Je réussis tout de même à avoir accès à quelques chiffres de manière informel grâce à des échanges avec des start-up françaises. C'est cette situation qui a aboutit à la rédaction d'une proposition de loi pour permettre la remontée des données et ainsi permettre la régulation. Uber, le plus gros acteur, a ainsi laissé la situation se dégrader plutôt que d'aider les pouvoirs publics à trouver une solution durable. ‬

‪4 : Uber défie le Parlement :‬

‪Avec Alain Vidalies, Secrétaire d'État aux transports, nous présentons début juillet 2016 le résultat du travail collectif (politique de contrôle renforcée, identification des VTC pour début 2017, proposition de loi visant à la régulation à la responsabilisation et à la simplification, étude sur le fonds de garantie, ...). Lorsque la loi arrive en débat au Parlement, Uber mobilise tous ses moyens pour la contrer. Ce sont des millions d'euros qui sont alors dépensés : distributions de tracts dans les rues de Paris dénonçant une loi qui va détruire des dizaines de milliers d'emplois, achat de pages entières dans la presse nationale pour dénoncer la loi, campagnes de communication médias, campagnes d'e-mailing aux clients, financement d'études privées, réunions avec les parlementaires, appels des parlementaires dans les villes où Uber est présent, rédaction de tribunes (https://www.lalettrea.fr/action-publique/2016/11/10/les-vtc-en-embuscade-sur-la-loi-grandguillaume,108189143-ARL), ... Malgré cette pression permanente qui va jusqu'à agacer les sénateurs, le Parlement est souverain et vote la loi, à l'unanimité moins une abstention, à l'Assemblée nationale le 19 décembre 2016 après un accord avec le Sénat et son rapport Jean-François Rapin.‬

‪5 : Uber refuse le dialogue :‬

‪L'UNSA-VTC, et son Président M. Barroun, avec qui je travaille depuis le début de ma mission, demande depuis des mois un dialogue avec Uber sur la question du prix, des commissions et des déconnexions brutales de la plateforme. En effet, ces déconnexions brutales, sans dialogue, sont assimilés par certaines chauffeurs à des "licenciements par bouton". Le chauffeur ne peut alors plus travailler avec la plateforme alors même qu'il doit payer la location du véhicule à une entreprise proche de la plateforme. Uber refuse le dialogue et ne veut pas discuter avec l'UNSA. Les représentants de l'UNSA sont alors caricaturés. La campagne de dénigrement commence. Malgré de nombreuses relances, malgré la saisine du médiateur inter-entreprises Pierre Pelouzet, Uber reste dans une posture de non dialogue. J'ai d'ailleurs l'occasion de relancer le représentant d'Uber lors d'un débat à l'Université Paris-Descartes le 2 décembre dernier. Suite à mon interpellation : la réponse est une fin de non-recevoir.‬

‪6 : L'explosion sociale :‬

‪Suite à l'annonce d'Uber d'augmenter ses tarifs, mais dans le même temps d'augmenter ses commissions, les chauffeurs VTC appellent à la mobilisation car on leur donne dans une poche pour leur vider l'autre. Ils dénoncent la paupérisation de leur métier. Les chauffeurs VTC, qui sont souvent des indépendants demandent à être respectés dans leur indépendance. C'est d'ailleurs le sens de l'article L442-6 du code du commerce (‬https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000005634379&idArticle=LEGIARTI000022657744). ‪Ils sont dans une relation commerciale avec Uber et à ce titre le dialogue doit être équilibré ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le droit existant donne des moyens pour agir‬. Et si Uber veut décider de tout pour eux, ça s'appelle un lien de subordination non ? 

7 : L'avenir face à l'uberisation : 

Uber doit respecter les travailleurs et répondre à la demande des chauffeurs concernant le montant des commissions. Le travail doit être rémunéré au juste prix, cela commence par garantir la dignité. On ne peut assurer la liberté des femmes et des hommes si on est incapable de garantir les conditions d'existence. Uber doit s'ouvrir au dialogue durable et sortir de sa posture permanente de défi de l'État de droit. 

La loi votée cette semaine mettra fin aux clauses d'exclusivité qui empêchent aujourd'hui les chauffeurs de Taxi comme de VTC de travailler pour plusieurs centrales ou plateformes. Elle responsabilisera les plateformes. Elle permettra la mise en place de nouveaux outils de régulation reposant sur la remontée des données, comme à New-York avec la TLC (http://www.nyc.gov/html/tlc/html/home/home.shtml). Elle simplifiera les statuts en passent de trois (Loti-VTC-Taxis) à deux (VTC-Taxis) avec une période de transition. Elle mettra en place une organisation stable et régulière des examens dans les chambres des Métiers et de l'Artisanat empêchant ainsi les nombreuses fraudes constatées. La loi permettra de garantir une concurrence saine. 

Bien évidement, on peut s'attendre à ce qu'Uber attaque cette loi, comme toutes les autres. On peut s'attendre à une campagne intense de lobbying dans les ministères pour réduire la portée des décrets. Mais nous serons bien vigilants.  

Il reste la question du fonds de garantie pour les taxis que je continue de soutenir auprès du Gouvernement malgré l'opposition de certains acteurs. 

Plus largement, je vois 4 défis auxquels nous devrons répondre demain pour les travailleurs indépendants. Ces défis sont très bien incarnés par le rapport de l’OIT (Organisation international du travail), intitulé « L’emploi atypique dans le monde », et détaillés dans un article de Béatrice Héraud http://www.novethic.fr/empreinte-sociale/conditions-de-travail/isr-rse/uberisation-les-nouvelles-formes-d-emploi-toujours-plus-precaires-144187.html
 
1 : Le premier défi est celui de la protection des travailleurs indépendants face aux risques professionnels
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Ces risques professionnels sont aujourd’hui mal évalués et donc mal anticipés. Le discours dominant est celui de la réduction des qualifications pour faciliter l’intégration des « outsiders » et de la réduction des protections pour réduire les coûts des prestations. Pourtant, les risques existent bien et sont d’autant plus importants que les travailleurs indépendants interviennent dans des secteurs exposés. S’il faut simplifier les parcours et individualiser pour prendre en compte l’expérience professionnelle, l’accompagnement est essentiel pour ces entrepreneurs. Le risque serait de moins investir dans la formation et de s'inscrire dans une stratégie du court-termisme. Je crois qu’il est aussi important de mieux intégrer la question des risques professionnels au sein des entreprises qui travaillent avec des prestataires pour protéger chacun dans son rôle.
 
2 : Le deuxième défi est celui de la protection sociale des travailleurs indépendants : 

C’est un véritable enjeu qui pose la question de la modernisation de notre système social et de son financement. Le taux de pauvreté est plus important aujourd’hui chez les travailleurs indépendants que chez les salariés. Il existe une précarité indéniable. Si des solutions existent, comme le portage salarial et les coopératives d’activité, il est essentiel de développer des modèles qui concilient agilité, flexibilité, liberté et sécurité. La question de la concurrence déloyale est aussi posée, elle renvoie aux écarts entre régimes fiscaux et sociaux. Cela pose aussi l'enjeu de la simplification des régimes fiscaux et sociaux et de leur harmonisation.
 
3 : Le troisième défi est celui de la syndicalisation des travailleurs indépendants :

Si les syndicats patronaux ont tenté, sans grand succès jusqu’à présent, de capter le public des travailleurs indépendants, plusieurs syndicats de salariés s’investissent de plus en plus en direction de ce public. On peut d’ailleurs constater qu’il y a un glissement sémantique vers la notion de travailleurs (ex : congrès de Marseille de la CFDT) pour prendre en compte les deux publics : salariés et travailleurs indépendants. IG Metall, en Allemagne, a réalisé cette transformation depuis bien longtemps. Il y a un enjeu essentiel pour représenter les travailleurs indépendants et porter la voix de tous ces « invisibles ».  Si les « poussins » ont émergé en plein conflit sur la loi Pinel, c’est bien parce que les indépendants avaient le sentiment de ne pas être représentés. S’il y a autant d’interlocuteurs dans le transport occasionnel, c’est bien parce qu’il y a une multiplicité des statuts, des situations et donc un émiettement des organisations traditionnelles.

4 : Le quatrième défi est celui de la négociation collective :  

Comment mettre en place des espaces de dialogue entre les indépendants et les plateformes, entre les indépendants et les entreprises ? Ces espaces sont nécessaires pour créer les conditions de la confiance, pour garantir la responsabilité sociale, et pour réussir les transformations dans les entreprises. On peut d’ailleurs saluer à ce titre le début de dialogue amorcé entre la plateforme Marcel Cab et l’UNSA-VTC. Il n’y aura pas de transformations des entreprises réussies sans un dialogue durable avec les indépendants. Ils sont porteurs de compétences clés mais sont aussi prescripteurs. La question de l’équilibre dans le dialogue commercial est aussi posée, on le voit avec les travailleurs indépendants qui travaillent avec des plateformes et sont parfois victimes de déconnexions brutales ou de baisses du prix des prestations importantes sans dialogue. Sans dialogue, c’est l’assurance de conflits récurrents dans les secteurs concernés.

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