Il a fallu trois ans, trois ans pour que je puisse transformer l'idée des "territoires zéro chômeur de longue durée", portée par la société civile et en particulier par ATD Quart Monde et Patrick Valentin, en loi permettant l'expérimentation pendant cinq ans.
Trois ans pour être autorisés à agir, à tester une idée simple qui vise à lutter contre le chomage de longue durée dans un pays où le chomage est endémique. Une idée qui part du principe que personne n'est inemployable, que chacun a des compétences, que le chomage de longue durée n'est pas une fatalité, que dans chaque territoire existent des activités que l'on peut développer pour répondre aux besoins même si elles sont peu solvables, que ces activités n'entreront pas en concurrence avec des activités existantes car elles reposeront sur un consensus local (entreprises - collectivités - institutions - associations- chômeurs citoyens), que des ressources publiques sont mal affectées et que la privation d'emploi coûte plus cher que l'emploi.
Trois années durant lesquelles il a fallu justifier en permanence une expérimentation qui, au départ, devait se réaliser dans cinq territoires. Nous étions qualifiés au mieux d'utopistes ...
C'est grâce aux pouvoirs qui sont donnés aux parlementaires, certes faibles dans la Vème République, que nous avons pu réussir à lever les freins, au sein même de l'exécutif, et à éviter les nombreuses embûches. J'avais, au départ, créé un groupe de travail réunissant les associations (ATD Quart Monde, Emmaüs France, le Secours Catholique, le Pacte Civique, la FNARS, Bleu Blanc Zèbre), des parlementaires des différents groupes que j'avais sollicités pour créer le consensus, et des experts comme Michel de Virville. J'avais commencé par dialoguer avec "les frondeurs", puis avec des députés des différents groupes (PC, écologistes, UDI, Républicains). Une fois le projet expliqué à tous, ils étaient convaincus qu'il fallait avancer ensemble pour ce projet. Nous avons rédigé ce qui allait devenir une proposition de loi. Pendant ce temps, un rapport avait été commandé par l'exécutif à une autorité dite indépendante pour établir un rapport à charge qui justifiait alors l'absence de volonté d'avancer. Le rapport n'a jamais été publié mais j'avais pu me le procurer. Des contre-feux avaient également été allumés dans le monde de l'insertion alors que ce projet est complémentaire de l'insertion et non pas en concurrence. Il a fallu dénouer tous les noeuds et ils étaient nombreux !
Il a fallu alors trouver des appuis politiques en allant rencontrer le Président de la République, François Hollande, le Premier Ministre, Manuel Valls et le Président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone et Emmanuel Macron, alors Ministre, qui s'intéressait de près aux expérimentations et qui a créé ensuite "France Expérimentation". Je me rappelle encore le rendez-vous avec Jean-Marie Le Guen, Ministre des relations avec le Parlement, au mois d'août 2015, qui m'a expliqué clairement où le projet avait été bloqué. Il s'était alors engagé à le débloquer, ce qu'il a fait.
Il a fallu ensuite réussir à crédibiliser le projet. C'est pourquoi j'ai alors utilisé les pouvoirs qui sont donnés aux parlementaires : la saisine du Conseil d'État sur la proposition de loi (possibilité offerte par le réforme constitutionnelle réalisée par l'ancien Président de la République Nicolas Sarkozy) et la saisine du Conseil Economique et Social Environnemental (CESE) par l'intermédiaire du Président de l'Assemblée nationale, non pas sur la proposition de loi (ce n'est pas autorisé) mais sur l'idée des territoires zéro chômeur de longue durée. Le rapport du Conseil d'État a justifié la nécessité d'une loi pour expérimenter. Il faut préciser que ceux qui ne voulaient pas du projet disaient qu'il ne fallait pas de proposition de loi pour expérimenter, que quelques subventions suffiraient ... Le rapport au CESE a été voté à l'unanimité, des partenaires sociaux en particulier, dans un contexte de tensions sociales très fortes avec la loi travail. Le CESE a proposé des conditions de réussite de l'expérimentation. Nous avons ensuite modifié la proposition de loi pour intégrer les remarques du Conseil d'État et les conditions de réussite du CESE. La double saisine a apporté une crédibilité indéniable au projet et nous a permis ensuite d'engager le débat au Parlement, aboutissant à un vote à l'unanimité à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce qui est rare pour une loi économique et sociale. Nous avons pu bénéficier du soutien de la Ministre du Travail, Myriam El Khomri. Pendant le débat au Parlement, le groupe de travail a continué à se réunir chaque semaine, faisant le point sur les débats en cours.
Une fois la loi votée et promulguée, le fonds national d'expérimentation a pu être mis en place. Il est présidé par Louis Gallois qui a accepté cette fonction. La loi a prévu l'expérimentation dans dix territoires et pendant cinq ans. Ces dix territoires ont été choisis fin 2016 sur la base d'un appel à projet. 42 territoires y ont répondu, certains étaient plus avancés que d'autres puisque des territoires préparaient ce projet depuis deux ans. Dix territoires et autant d'entreprises qui ont été créées en quelques mois. Déjà près de 300 chômeurs de longue durée ont été embauchés en CDI pour des activités nouvelles, n'entrant pas en concurrence avec des activités existantes, reposant sur les compétences et les souhaits des personnes. Les entreprises bénéficient pendant cinq ans du coût du chômage de longue durée pour l'État et les collectivités territoriales.
Notre ambition aujourd'hui : réussir les 10 premières expérimentations et préparer d'ores et déjà la seconde étape avec 100 nouveaux territoires qui pourront être prêts quand, nous l'espérons, une seconde loi sera votée. Le groupe de travail qui a mené le combat n'a pas disparu. Après le choix des dix territoires, nous avons créé une association "Territoires zéro chômeur de longue durée" dont les membres fondateurs sont les grandes associations, Patrick Valentin, Michel de Virville et moi-même. L'association s'est structurée autour de quatre collèges : un collège citoyen, un collège des personnes qualifiées, un collège des territoires (les villes de Marseille, Boulogne-sur-Mer, ... ont adhéré), et un collège des associations (le CORACE nous a rejoint). Après avoir été parlementaire, je préside aujourd'hui cette association dans la société civile pour continuer le combat. Nous avons obtenu le soutien de plusieurs fondations importantes qui nous permettent aujourd'hui d'accompagner les nombreux territoires qui nous sollicitent.
J'ai pu présenter le projet récemment à l'occasion de la Conférence nationale des Territoires, aux côtés de Julien de Normandie, Ministre. Nous avons également été reçus récemment par un conseiller du Président de la République, avec Michel de Virville et Louis Gallois. Nous avons déjà reçu le soutien de près d'une centaine de parlementaires de tous les nouveaux groupes de l'Assemblée nationale. Le travail continue pour réussir.
C'est avec les idées que l'on avance et que l'on change la société. Lorsque ce sont des idées de transformation sociales et économiques, elles percutent les conservatismes, les habitudes, et ceux qui se disent "Bah, c'est l'ordre des choses et il en a toujours été ainsi". Si vous aussi vous pensez qu'une utopie peut devenir réaliste par la volonté des femmes et des hommes qui s'engagent, que nous n'avons pas tout essayé contre le chomage, qu'il ne faut pas tout attendre des responsables politiques et qu'il faut agir ensemble, que les citoyens et les territoires sont une part de la solution, alors rejoignez-nous ! http://www.tzcld.fr