Je prends la plume (ou le clavier) quelques instants pour partager ce soir avec vous ces quelques mots dans un contexte où l'expérimentation "Territoires zéro chômeur de longue durée" est une nouvelle fois confrontée à une idéologie rétrécissante malgré les réussites et les impacts du projet qui sont reconnus par le plus grand nombre. Je tiens à remercier tous ceux qui se mobilisent en ce moment pour éviter que l'expérimentation entre, en France, dans l'ère de la glaciation alors même que cette belle idée prend le chemin de l'universalisation au-delà de nos frontières.
Un long combat :
Huit années se sont écoulées depuis mes premiers engagements pour l'expérimentation "Territoires zéro chômeur de longue durée", engagement qui avait alors pu aboutir, en 2016, au vote à l'unanimité au Parlement de la première loi autorisant l'expérimentation dans dix territoires. J'ai connu cinq ministres du travail pendant cette période (soit en moyenne un tous les deux ans) dont la majorité d'entre eux a soutenu le projet dans la continuité républicaine ou parfois même avec engouement comme ce fut le cas de Myriam El Khomri ou d'Elisabeth Borne. Il y a eu aussi des oppositions idéologiques latentes, battues en brèche par la mobilisation de tous les territoires. J'ai aussi connu le combat citoyen pour une seconde loi, votée en 2020 à l'unanimité, et portée par la députée Marie-Christine Verdier-Jouclas. Cette deuxième loi a autorisé d'étendre l'expérimentation à au minimum 50 nouveaux territoires.
J'avais fait le choix en 2016 de continuer à m'engager pour le projet, bénévolement, loin de mes engagements en tant que député ou en tant qu'élu local. Je suis ainsi passé d'un rôle d'élu de la nation, de législateur, à celui de bénévole mettant en oeuvre une loi votée par le Parlement. Cette période fut pour moi la prise de conscience forte des conservatismes, des lourdeurs et des langueurs qui créent la défiance dans notre pays. J'ai été élu Président bénévole de l'association Territoires zéro chômeur de longue durée, en 2016, pour que les acteurs du projets, et les membres fondateurs (ATD Quart Monde, Emmaüs France, Secours Catholique, Fédération des Acteurs de la Solidarité, Pacte Civique), continuent à s'engager pour la mise en oeuvre, et la réussite de l'expérimentation. Précisons que cette association ne vit pas des subsides de l'Etat et fort heureusement pour notre libre expression comme le montrent les évènements récents. Le fonds d'expérimentation, mis en place quant à lui par la loi, pilote l'expérimentation depuis le départ. Un commissaire du gouvernement siège à son conseil d'administration pour en contrôler les actions et les engagements. Le fonds est présidé bénévolement depuis sa création par Louis Gallois qui a pu apporter son expérience de dirigeant de l'industrie (Il a été président d'Airbus, de la SNCF ou encore de PSA Peugeot Citroën), d'homme engagé pour l'insertion (il a notamment été président de la FNARS devenue FAS) et de fin connaisseur des rouages de l'Etat et des Ministères. Le fonds conventionne avec chaque entreprise créée dans les territoires et verse les fonds nécessaires pour le bon déroulement de l'expérimentation. Il publie régulièrement des rapports publics, transmets l'ensemble des informations de pilotage au Ministre du Travail.
Apprendre de l'expérience :
J'ai appris de l'expérience, des rencontres en France comme des rencontres avec les acteurs des autres continents. Nous avons créé plus de 3000 emplois sur des activités qui n'existaient pas dans les territoires concernés dans les domaines notamment de la transition écologique, de la réindustrialisation et des services de proximité. Nous avons accompagné plus de 2000 personnes supplémentaires à retrouver un travail dans les entreprises locales. Nous avons identifié chacune des personnes en porte à porte car parfois elles n'étaient dans aucune statistique publique. Nous avons créé près de 70 entreprises, 70 PME de l'économie sociale et solidaire. Ce sont aujourd'hui 58 territoires qui expérimentent en France dans près de 40 départements. De nombreux autres territoires veulent se saisir du droit d'expérimenter. L'expérimentation est un succès reconnu au-delà de nos frontières par les organismes internationaux (ONU, OIT, OCDE), et par la Commission Européenne qui soutient financièrement l'essaimage du projet, essaimage déjà réalisé en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas, et en Autriche, après un vote à l'unanimité d'un rapport du comité européen des régions.
Finalement, Territoires zéro chômeur de longue durée c'est un projet en réseau, un réseau complexe, constitué de personnes privées durablement d'emploi, de bénévoles, d'entreprises à but d'emploi (EBE) et de leurs salariés, de comités locaux pour l'emploi (CLE) et de leurs partenaires publics et privés, d'associations locales et nationales de lutte contre la pauvreté et d'insertion, d'entreprises locales et de grandes entreprises, d'élus locaux et nationaux, de collectivités locales, d'experts, d'une association nationale (TZCLD) et d'un fonds d'expérimentation (ETCLD). C'est tout le contraire d'un dispositif descendant, recroquevillé, qui se ferait sans que les personnes concernées puissent agir et participer.
Le contexte :
Il a donc fallu 8 ans d'expérimentation pour que le projet passe en France de 10 territoires à 58 territoires habilités avec un budget de 40 millions d'euros en 2023. Précisons que la région de Wallonie en Belgique lance en ce moment 17 territoires et dote le projet de 100 millions d'euros. Et Rappelons que l'expérimentation n'est pas qu'un coût puisqu'il faut prendre en compte les économies réalisées par l'Etat et les départements du fait que les personnes sortent de la privation durable d'emploi.
Or, nous avons eu deux mauvaises surprises ce deuxième semestre sur la base de décisions prises par le Ministre du Travail Olivier Dussopt :
- La baisse de la contribution au développement de l'emploi au 1er octobre 2023, par arrêté ministériel publié en plein été le 31 juillet. Cette contribution finance une part du coût de chaque emploi créé par l'activation de la dépense passive c'est à dire par la mobilisation du coût du chômage qui est économisé par l'Etat et par les départements du fait que les personnes sortent de leur situation de privation durable d'emploi. Cette contribution est complétée par le chiffre d'affaires créé par les entreprises. On nous a clairement fait comprendre que l'on devait s'estimer heureux que la baisse n'ait pas été appliquée au 1er juillet 2023, et qu'elle aurait pu être plus importante. En gros, prenez cela ou on peut aller plus loin dans la baisse dès cette année ou l'année prochaine. La conséquence première et immédiate est de remettre en cause les plans prévisionnels des entreprises à but d'emploi, sans aucune préparation, et donc les embauches à venir. Le rythme des embauches s'est d'ailleurs déjà ralenti en conséquence.
- Quelques semaines plus tard, nous découvrons dans le projet de loi de finances un budget prévisionnel de 69 millions d'euros pour 2024 alors que 89 millions d'euros sont nécessaires. Il manque donc 20 millions d'euros. Ces besoins budgétaires ont pourtant été communiqués au Ministre du Travail en amont de la préparation du projet de loi de finances, et sur la base de prévisions budgétaires fiables qui sont transmises chaque mois par le fonds d'expérimentation au cabinet du Ministre. Ce budget, tel qu'inscrit dans le projet de loi de finances pour 2024, empêchera les 58 territoires habilités de poursuivre la recherche de l'exhaustivité et empêchera les 25 nouveaux territoires qui doivent se lancer dans l'expérimentation de le faire avec des conditions de réussite. Suite à cette annonce, des rendez-vous ont eu lieu entre les représentants du fonds d'expérimentation et l'équipe du Ministre du Travail. Ce dialogue n'a pour le moment aboutit à rien de concret si ce n'est pas à des déclarations très maladroites du Ministre du Travail dans ses réponses aux questions orales des parlementaires au Sénat comme à l'Assemblée nationale. Agacé par la forte mobilisation des acteurs et des territoires contre ses décisions injustes et non concertées, il n'a pu s'empêcher de critiquer le pilotage de l'expérimentation, et donc l'action du fonds d'expérimentation et de son Président, Louis Gallois. L'association Territoires zéro chômeur de longue durée n'a pour sa part pas été reçue par le Ministre, ou par son équipe, à partir du moment où elle a exprimé son opposition à la baisse de la contribution au développement de l'emploi c'est à dire à partir du mois d'août. Il règne donc une certaine volonté de caporalisation de la société civile et une volonté de non dialogue clairement affiché.
Que faire ?
Si le budget est acté en l'état, il faudra tout d'abord prendre acte du gel de l'expérimentation et donc du choix politique assumé du Ministre du Travail, du Gouvernement et de la majorité parlementaire d'empêcher le passage à l'échelle du projet contrairement aux engagements pris par le Président de la République (voir charte d'engagement ci-dessous signée en 2022) et par la Première Ministre. On passerait ainsi de territoires de progrès à des territoires à l'arrêt.
Il faudra ensuite en tirer les conséquences pour la suite. A partir du moment où la boussole du projet, c'est à dire la recherche de l'exhaustivité, ne sera plus assurée, le projet sera dénaturé. Il pourrait hélas se transformer rapidement en un dispositif vidé de son sens, et de la place des personnes et des territoires. On peut se demander si tel n'est finalement pas le but non avoué avec l'émergence de France Travail : réduire à néant les projets portés par la société civile pour recentraliser toutes les initiatives.
On ne gagne que les combats que l'on mène. Nous allons donc mener ce nouveau combat jusqu'au bout et ce malgré le mépris exprimé par le Ministre du Travail en direction des acteurs du projet qui consacrent pourtant leur énergie et leur enthousiasme à éradiquer bénévolement la privation durable d'emploi. Finalement, le Ministre du Travail aura peut-être réussi une expérimentation hasardeuse : celle de mettre fin aux expérimentations heureuses.
Lettre au Président de la République
Charte d'engagement du Président de la République