Je reprends mon clavier pour partager, avec vous son mon blog, en premier lieu le soulagement que la proposition de loi visant à étendre l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » arrive enfin en débat dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ce mardi, et en second lieu la nécessité de mener le combat culturel.
Depuis quatre ans, nous nous mobilisons pour que ce projet puisse s’inscrire dans la durée. Nous avons démontré qu’il était possible d’éradiquer la privation durable d’emploi de longue durée dans trois des dix territoires avec seulement deux années pleines d’exercice des entreprises à but d’emploi (EBE). Déjà près de 1000 personnes ont été embauchées en CDI dans des micro-territoires (5 000 à 10 000 habitants), dont 25% de personnes en situation de handicap, et une durée moyenne de chômage de 54 mois. Les entreprises se sont développées sur des activités n’entrant en concurrence avec personne, non délocalisables et à forte intensité en travail humain : transition écologique, économie circulaire, sécurité alimentaire (maraîchage, permaculture), mobilités alternatives, services à la personne, recyclage avec développement de filière amont industrielle (ex. recyclage du verre plat issus des déchets du BTP), ...
Nous avons eu la chance que le Président de la République, Emmanuel Macron, laisse le projet grandir sans l’empêcher, l’inscrive dans la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, mais on peut se demander pourquoi « l’Etat profond » ne l’a pas fait ? La nouvelle proposition de loi sécurisant les dix premiers territoires et autorisant son extension sera débattue au Parlement avec comme rapporteure à l’Assemblée nationale Marie-Christine Verdier-Jouclas, et au Sénat, Frédérique Puissat.
Nos détracteurs sont actifs car pour eux « un euro d’argent public dépensé et un euro de trop ». Ils ont une vision ancienne qui ne calcule jamais les coûts évités d’une action positive, et encore moins les économies générées par le projet. On reste sur des loupes des années 70, au mieux du début des années 2000 avec la LOLF. On peut pour exemple polluer sans cesse et sans jamais prendre en compte les coûts que cela représente pour la société et les conséquences pour les générations qui viennent.
Face au défi climatique et social, il est grand temps de changer de vision et de calculer les coûts évités par des actions positives. Quels sont les gains pour la société, l’Etat et les collectivités territoriales de la sortie de la privation durable d’emploi ? Ce fut l’angle mort du rapport IGAS-IGF, tout comme ce fut le cas pour le halo du chômage d’ailleurs – où « les invisibles » des politiques publiques n’ont pas été pris en compte. Vous n’êtes pas au chômage dans la catégorie A depuis 12 mois consécutif ? Vous n’êtes pas pris en compte comme une personne privée durablement d’emploi pour nos statisticiens nationaux. Vous n'arrivez pas à bénéficier des aides auxquelles vous avez droit ? Le non-recours est une économie immédiate pour l’Etat, le constat est cynique.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire suite à mon intervention à Harvard à l’invitation du sociologue américain William Julius Wilson, et suite à la présentation du projet à la commission développement local de l’OCDE, on rencontre à l’étranger des « faiseurs » qui vous disent comme le projet peut grandir, quelles sont ses conditions de réussite, et non pas pourquoi ils ne pourra se réaliser.
On peut ainsi se réjouir de la publication d’une étude très approfondie du DULBEA (Département d’économie appliquée de l’Université Libre de Bruxelles) et de Solvay Brussels School Economics & Management, constitués d’économistes de très haut niveau. La conclusion de cette étude est claire : « Nous comparons ensuite ces coûts annuels moyens nets publics d’une remise à l’emploi de PPDE bruxelloises dans le cadre d’un projet-pilote ‘TZCLD’ aux coûts annuels moyens public de non-emploi qui seraient engendrés par ces PPDE bruxelloises si celles-ci n’intégraient pas le projet-pilote ‘TZCLD’. Au final, pour l’ensemble des scénarios d’estimation (DULBEA), le coût net pour les pouvoirs publics engendré par la remise à l’emploi d’une PPDE bruxelloise dans le cadre d’une expérimentation bruxelloise ‘TZCLD’ (coût moyen public net d’un travailleur bruxellois ‘TZCLD’) est moindre que le coût annuel moyen qui seraient engendrés par le fait de la laisser en inactivité. ». Tout est dit. Elle permettra, à n’en point douter, à nos amis belges de TZCLD Belgique de se lancer enfin concrètement à Bruxelles. Et merci à eux de nous avons transmis ces éléments que nos propres économistes n'ont pas été en capacité de calculer.
Nous avons un problème culturel de nos élites en France qui, plutôt que d’aider à développer les projets, sont dans la mise en exergue des raisons pour lesquelles cela ne peut fonctionner. Elles avancent ainsi les seules solutions possibles, les leurs, et non pas celles de la société civile : celles de modèles centralisés et inefficients qui s’incarnent dans des « dispositifs » descendants qui excluent. Nous avons dans notre pays de belles idées, de belles causes, mais nous échouons souvent dans la mise en œuvre, dans le comment.
Je me rappelle cet échange avec Jean-Louis Borloo qui m’avait auditionné pour son rapport et qui soutient le projet. Il m’avait dit avec son recul et son humour « Vous allez rencontrer de fortes oppositions car vous êtes en train d’expliquer que finalement c’est possible ».
Oui, nous pensons que c’est possible, et nous allons continuer de rêver et de faire. Nous allons mener la bataille de l’action et la bataille culturelle. Oui, Territoires zéro chômeur de longue durée est un investissement pour mettre l'humain au coeur des choix.