C'est une très belle expérience que de pouvoir continuer le projet que j'ai porté hier en tant que Député au Parlement. Je le fais aujourd'hui bénévolement en tant que président de l'association Territoires zéro chômeur de longue durée.
L'expérimentation "Territoires zéro chômeur de longue durée" est un exemple d'idée née dans la société civile, accompagnée dans son émergence par les pouvoirs publics et le Parlement, et aujourd'hui transformée dans les territoires. C'est un projet qui s'inscrit pleinement dans l'empowerment. Nous sommes là dans une chaîne de transformation complète.
Dix territoires expérimentent le projet pendant cinq ans. 11 entreprises ont été créées et plus de 650 personnes ont déjà été embauchées en CDI, à temps choisi, sur des activités nouvelles qui ne concurrencent personne (transition écologique et énergétique, économie circulaire et réemploi, services de proximité). En septembre 2018, Le Président de la République a inscrit l'extension de Territoires zéro chômeur de longue durée comme une des priorités de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté.
Les fondements du projet sont simples :
- Personne n’est inemployable : Toutes celles et tous ceux qui sont durablement privés d’emploi ont des savoir-faire et des compétences qu’ils développent, à condition que le travail et l’emploi soient adaptés à chacun.
- Ce n’est pas le travail qui manque : C’est l’emploi, puisque de nombreux besoins de la société ne sont pas satisfaits.
- Ce n’est pas l’argent qui manque : Puisque chaque année le chômage de longue durée entraîne de nombreuses dépenses et manques à gagner que la collectivité prend à sa charge.
Les entreprises créées bénéficient de l'activation des dépenses passives (coût du chômage) pour développer des activités, n'entrant en concurrence avec personne.
Née dans la société civile (ATD Quart Monde, étude macroéconomique sur le coût de la privation d'emploi avec Patrick Valentin), cette idée était au départ qualifiée d'utopiste. Après avoir rédigé une proposition de loi en tant que Député, et confronté à de nombreux conservatismes, j'ai saisi le Conseil d'État pour disposer d'un avis, puis j'ai sollicité le Président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, pour saisir le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) sur l'idée des territoires zéro chômeur de longue durée.
Les deux avis ont crédibilisé ce projet utopiste avant même qu'il n'arrive en débat à l'Assemblée nationale. Dans le même temps, j'ai organisé de nombreuses auditions et créé un groupe de travail qui rassemblait des parlementaires, de tous les groupes, et des acteurs de la société civile (des experts comme Patrick Valentin et Michel de Virville, des associations fondatrices comme ATD Quart Monde, Emmaüs France, Secours Catholique, Pacte Civique, Fédération des Acteurs de la Solidarité).
La proposition de loi a été débattue au Parlement et votée à l'unanimité des deux chambres, ce qui est rare pour un projet qui concerne une question sociale.
La mise en œuvre du projet :
Il s'agit d'une "horlogerie fine", pour reprendre l'expression récente de Madame la Ministre du Travail. Il a fallu tout d'abord convaincre le Gouvernement, et les administrations centrales de l'Etat, d'aller vite pour réussir la mise en œuvre avec la création d'un fonds d'expérimentation dont le rôle est défini par la loi. Ce fonds est aujourd'hui présidé par Louis Gallois. C'est par l'intermédiaire de cet outil que se réalise l'activation des dépenses passives.
Après le vote de la loi, nous avons créé une association nationale, avec les membres fondateurs (www.tzcld.fr), pour soutenir les dix premiers territoires d'expérimentation, pour préparer le passage à l'échelle en soutenant de nouveaux territoires et pour convaincre les pouvoirs publics de la nécessité d'une deuxième loi pour étendre l'expérimentation. L'objet de l'association est le droit à l'emploi pour tous. J'anime cette association avec un collectif (associations, bénévoles, salariés, territoires, experts). Voici notre rapport d'activité : https://www.tzcld.fr/wp-content/uploads/2018/10/Rapport-intermediaire-TZCLD-2018.pdf
C'est souvent dans le passage à l'échelle que l'on rate la marche pour les innovations économiques et sociales. Nous avons hélas peu d'exemples de réussite. Nous nous sommes donc fixés pour objectif de faire grandir le projet par extension de l'expérimentation. Nous ne parlons pas de "généralisation" car le projet repose sur une mobilisation de territoires volontaires.
Comme dans tous projets, nous connaissons les meilleures façons d'échouer : créer une usine à gaz pour traiter le passage à l'échelle (une nouvelle bureaucratie), passer de la culture du "co-" (co-construire, co-produire, ...) à la culture des "égos", se consacrer au "qui ?" plutôt que de se consacrer au "faire" (makers), ... Les échanges avec certains acteurs américains comme Bill Wilson à l'Université de Harvard ont pu nous éclairer sur la méthode. Il est très important de comprendre pourquoi certaines personnes refusent d'entrer dans l'expérimentation ou pourquoi certains territoires ne se mobilisent pas. C'est l'analyse des marges - des "invisibles" du projet (comprendre pourquoi certains acteurs, ou territoires, ne s'engagent pas), de la géographie de la colère pour mieux comprendre comment faire émerger une géographie de l'adhésion.
A ce jour, 140 territoires nous ont contactés, 140 parlementaires de tous les groupes ont rejoint le comité de soutien parlementaire, et plus de 100 bénévoles se mobilisent dans leurs territoires.
L'enjeu de capitalisation :
Groupe de réflexion sur la capitalisation (animé par Daniel Le Guillou), centre de développement et de formation (Financement FSE), évolutivité des outils (plateforme), outils de financements innovants (contrats d'apport associatif, crowdfunding, …), innovations RH (mécénat de compétences, …), lieu de partage du projet (grappes régionales) et de transferts des compétences dans les territoires, ... l'ensemble de de ces éléments vont concourir à la chaîne de transformation du projet pour que demain, 50, 100, ... nouveaux territoires puissent expérimenter cette utopie réaliste, et que cela devienne un droit d'expérimentation pour tous les territoires qui veulent se lancer. Pour réussir le passage à l’échelle, nous avons récemment obtenu le soutien de l’Europe à travers le fonds social européen (FSE) pour lancer notre centre de développement et de formation.
La plus grande force du projet c'est qu'il n'appartient à personne en particulier, à part à ceux qui le réalisent dans les territoires. Ce sont les "makers". Ce sont les artisans de sa réussite. On ne peut pas éradiquer le chômage de longue durée par les mots, mais bien par la transformation dans les territoires, par le "faire".
Cette méthodologie du passage à l'échelle, qui est en train de se construire, pourra servir à la réussite d'autres projets, c'est l'enjeu de migration. Nous testons, prenons des risques, parfois dans des interactions très complexes mais nous avançons vite et bien.