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J’ai découvert hier matin la tribune de M. Gaspard Koenig, publiée dans le journal Les Echos, à propos de la question des VTC. Cette tribune est un tissu de mensonges sur la loi que j’ai portée dans le cadre du conflit entre les chauffeurs Taxis, VTC et LOTI face aux plateformes.

Pour ceux qui connaissent bien ce sujet, on comprend en lisant cette tribune que M. Koenig l’inscrit dans un temps politique particulier. En effet, il n’est pas étonnant que cette tribune, signée par un ultralibéral, arrive avant que le projet de loi sur la mobilité soit présenté. Cela donne un avant-goût du lobbying qui va se déchaîner au Parlement pour tenter de détricoter la loi que j’avais défendue.

Pour rappel, M. Koenig est Président du think-tank ultralibéral Génération Libre, un think-tank qualifié de « think-tank de la loufoquerie » par le journaliste Gérard Le Puill. On pourrait s’en arrêter là, mais continuons. Son rêve est le suivant : « Le CDI est en voie d’extinction et le salariat est mort … » (sic).

En lisant son texte parsemé de mensonges, je me suis rappelé ce beau discours à la jeunesse prononcé par Jean Jaurès à Albi en 1903. Il disait à propos du courage : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. ». Rétablissons donc quelques vérités.

Vu le nombre d’âneries qui sont écrites dans la tribune de M. Koenig, il me faudrait sans nul doute plusieurs nuits pour y répondre. Mais je vais me limiter aux deux principaux mensonges qui décrédibilisent totalement son argumentation.

 

1 : M. Koenig : « Il y a plus d’un an je dénonçais dans ces colonnes la loi grandguillaume en cours de discussion, qui prévoyait de réduire drastiquement l’accès à la profession de chauffeur en VTC à l’aide d’examens jésuitiques. Je m’inquiétais que faute de savoir caractériser l’ère victorienne ou donner la définition du mot anachronique, « les jeunes peu qualifiés retournent demander des formations à Pôle emploi ». C’est désormais chose faite. ». « Je ne peux que compatir avec les 66% de candidats qui échouent ».

 

Tout d’abord, informons M. Koenig sur le fait que la loi ne détermine pas le contenu des examens et bien heureusement ! Autrement, il faudrait changer à chaque fois la loi pour changer une des questions de l’examen (sic).

Le dernier taux de réussite aux examens VTC, communiqué par le Ministère des Transports (et non pas par l’appareil statistique imaginaire de M. Koenig), est de plus de 70%. On est donc bien loin des chiffres fantaisistes inventés (sic). Mais finalement, M. Koenig se moque des chiffres et des vérités, son combat est d’abord idéologique. Il veut remettre en cause la nécessité même d'une qualification, lui qui défend un monde sans aucune régulation, celui de la « main invisible » du marché. La protection du consommateur n’est semble-t-il pas son problème. 

Ensuite, il faut expliquer à M. Koenig que la loi du 26 décembre 2016 n’a pas créé un examen pour les chauffeurs VTC. L’examen pour les chauffeurs VTC existait avant la loi et était régulièrement annulé pour fraude massive (sic). Ce qui a changé c'est son mode d'organisation. L’examen est désormais organisé par les chambres des métiers et de l'artisanat sur l'ensemble du territoire. L’organisation de l’examen a été confiée aux chambres des métiers et de l'artisanat car les chauffeurs de VTC sont immatriculés dans ces chambres, au même titre que les taxis.

Mais pourquoi avoir mis en place ce système de gestion ? Car avant la loi, les examens étaient annulés régulièrement pour cause de tricheries massives. C’était une véritable anarchie. Pour rappel, voilà comment ça se passait avant la loi :

« VTC : l'examen de 501 candidats chauffeurs invalidé pour tricherie » (Le Parisien, 30 avril 2016). http://www.leparisien.fr/economie/vtc-l-examen-de-501-candidats-chauffeurs-invalide-pour-tricherie-30-04-2016-5756671.php

 « VTC, tricherie massive à la première cession d’examens du diplôme de chauffeurs » (LCI, 30 avril 2016). https://www.lci.fr/societe/vtc-tricherie-massive-a-la-premiere-cession-dexamens-du-diplome-de-chauffeur-1507234.html

 « Lyon, une examinatrice donne le diplôme de chauffeur VTC contre 500 euros » (Lyonmag.com, 5 novembre 2016). https://www.lyonmag.com/article/84027/lyon-une-examinatrice-donne-le-diplome-de-chauffeur-vtc-contre-500

Et je ne citerai pas tous les exemples car la liste est bien trop longue. Il était donc grand temps de remettre de l’ordre et de mettre fin à des systèmes dignes d’un autre âge. M. Koenig préférait apparemment le monde d’avant.

 

2 : M. Koenig : « Le gouvernement a procédé dans l’indifférence générale au plus grand plan social de l’histoire récente : environ 10.000 chauffeurs se sont retrouvés sans emploi au 1er janvier de cette année. »

 

Voilà le cœur du mensonge, celui porté par certains lobbys depuis le conflit de 2016. Ce mensonge permet à ses auteurs de mettre un voile sur le véritable enjeu : leur totale responsabilité dans la paupérisation des chauffeurs dans leur ensemble. La paupérisation des chauffeurs a été démontrée par plusieurs rapports (dont celui de M. Jacques Rapoport) et encore récemment par le M.I.T (Massachusetts Institute of Technology’s Center for Energy) aux États-Unis qui n’est pas connu pour être fantaisiste : https://www.theguardian.com/technology/2018/mar/01/uber-lyft-driver-wages-median-report D’ailleurs, M. Koenig aurait dû lire l’article du 3 février 2017 publié par les Echos : « Y a-t-il eu une paupérisation des chauffeurs VTC ? ». Le journaliste répond par l’affirmative à travers une démonstration. https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/0211765216000-y-a-t-il-eu-une-pauperisation-des-chauffeurs-vtc-comme-laffirme-laurent-grandguillaume-2062612.php

Permettez-moi maintenant de développer quelques explications utiles pour démontrer la malhonnêteté de ceux qui assènent ce chiffre de 10.000 chauffeurs en moins.

Ce chiffre de 10.000 chauffeurs est martelé depuis début 2016 par certaines plateformes. Il fait référence au statut LOTI. Ce statut, qui date de 1982, était destiné uniquement au transport de groupe (plus de deux personnes par définition). Des plateformes ont sciemment contourné la loi pour utiliser ce statut massivement. Il faut savoir que ce statut ne comporte pas de vérification de l'honorabilité des chauffeurs (pas de vérification du casier judiciaire), ni d'examen pour vérifier la qualification (à part pour le capacitaire qui embauche les chauffeurs) contrairement aux taxis et aux VTC.

De nombreux chauffeurs LOTI sont effectivement sur le marché, sans doute à partir de 2014, dans le cadre d’un système de marchandage, pour concurrencer directement les chauffeurs de Taxis et de VTC. Ce système, organisé par des plateformes avec des sous-traitants, a entraîné une baisse très forte du prix moyen des courses et une difficulté pour les chauffeurs de pouvoir vivre de leur travail. Chaque intermédiaire prélevait une commission sur le dos des chauffeurs aboutissant parfois jusqu’à 50% de prélèvements sur le fruit du travail du chauffeur. Cela a abouti à des manifestations de chauffeurs contre les plateformes en décembre 2016 et à des revendications sur un prix minimum de course et sur une baisse des commissions prélevées par les plateformes. Voilà le vrai débat et où sont les responsabilités.

Depuis le début de l’année 2016, les plateformes ont toujours refusé, et ce malgré les demandes des pouvoirs publics, de communiquer le nombre réel de chauffeurs LOTI avec lesquels elles travaillaient. Elles se sont même réfugiées derrière les lois existantes pour ne pas communiquer ces éléments, d’où la nécessité de la nouvelle loi du 26 décembre 2016.  Pourquoi ne pas avoir communiqué ces chiffres ? Sans nul doute parce qu’un système de travail dissimulé massif a été organisé.

Que prévoit réellement la loi du 29 décembre 2016 ? Elle prévoit de simplifier les statuts en faisant en sorte qu’il y ait une concurrence saine entre les chauffeurs de taxis et les chauffeurs de VTC. Le système est plus lisible pour les consommateurs. Dans ce cadre, tous les chauffeurs LOTI ont obtenu une période de transition pour leur permettre d’avoir une équivalence pour devenir chauffeurs VTC sans passer d’examen ! Les chauffeurs LOTI ont donc pu continuer d’exercer leur métier de chauffeur en tant que VTC, sans réduction de l'emploi. Pour obtenir l’équivalence, il suffisait de déposer un dossier en préfecture (bulletins de salaire, …). Les chauffeurs ont eu une période de plus d’un an pour prouver qu’il avait un an d’expérience ! En effet, l’équivalence existait avant la loi du 29 décembre 2016 ! Le Gouvernement a même accordé un délai de trois mois après le 1er janvier 2018 pour terminer l’étude des derniers dossiers déposés fin 2017.

La preuve que cette transition a bien eu lieu, c’est qu’il n’y a jamais eu autant de chauffeurs VTC en France en ce début d’année 2018. Il suffit de vérifier le répertoire des VTC qui est un répertoire officiel du ministère des Transports (bien loin de l’appareil statistique imaginaire de M. Koenig). Par contre, de plus en plus de chauffeurs VTC se déconnectent de certaines plateformes en raison du montant des commissions qu’ils subissent sur le fruit de leur travail. Ils essaient de développer leur propre clientèle pour vivre dignement de leur travail.

 

Voilà pour les faits.

 

Mais au-delà des faits, nous avons affaire à des idéologues. En effet, M. Koenig ne fait que de s’inspirer de certaines thèses du XIXème siècle dont celles d’Adolphe Thiers. Il est important de faire un petit retour sur notre histoire pour éclairer les débats qui sont devant nous.

Au XIXème siècle, les manufactures réunissent essentiellement des travailleurs indépendants, c’est-à-dire non liés à l’employeur par un contrat de travail  mais par un « contrat de louage ». Ils étaient payés à la tâche, à la pièce, à la journée. On parlait alors des « tâcherons » et des « journaliers ». Comme l’a démontré Claude Didry, le contrat de louage faisait l’objet des plus vives critiques des forces sociales à travers la cristallisation autour de la question du marchandage ou du « tâcheronnat », c’est-à dire d’une concurrence entretenue entre les personnes par le contrat de louage. Des actions collectives ont été engagées face aux négociants pour imposer le bon prix.

Dans l’imaginaire collectif, la révolte des Canuts de 1831 à Lyon incarne cette opposition entre les ouvriers et les négociants sur le prix de la façon, le tarif des pièces, qui devient le nœud des tensions sociales.  Germinal incarne cette exploitation dans les mines avec Maheu, le chef de marchandage, qui prend sous son aile Etienne Lantier. Le décret du 2 mars 1848, adopté par la Commission du gouvernement pour les travailleurs, dite Commission du Luxembourg, abolit le marchandage mais il ne sera jamais vraiment mis en œuvre. L’article 2 du décret précisait que : « L'exploitation des ouvriers par des sous-entrepreneurs, ou marchandage, est abolie. Il est bien entendu que les associations d'ouvriers qui n'ont pas pour objet l'exploitation des ouvriers les uns par les autres ne sont pas considérées comme marchandage ... ».

Adolphe Thiers fera un plaidoyer pour le marchandage qui selon lui libère l’ouvrier devenant entrepreneur sans capital. Le marchandage qui persiste jusqu’au début du XXème siècle apparaît pour les républicains comme un moteur de liberté et pour les socialistes comme un moteur de l’exploitation. Les révolutionnaires de 1848 pensent même pouvoir dépasser ce marchandage à travers des formes de coopération. C’est l’exemple des commandites ouvrières dans l’imprimerie où les produits sont également répartis entre les ouvriers. C’est la naissance des coopératives. Les débats font rage entre ceux qui défendent le travail à la pièce, et ceux qui veulent une rémunération au temps dans les commandites ouvrières. La commandite créé un salaire collectif et représente alors une alternative au marchandage.

Le sweating-system, qui se développe à la fin du XIXème siècle au plan international, devient un nouveau sujet de tension sociale. On parlait de sweatshop pour désigner le lieu de travail, l’atelier de misère. Le mot était une contraction de contremaître (sweater) et de shop (magasin). Il incarnait une chaîne de sous-traitance, de marchandage, en particulier dans le commerce et dans la confection à travers le travail à domicile et la misère de ceux qui exécutent ces tâches au profit des chefs de rayon des grands magasins. Pour approfondir cette question, on peut s’intéresser en particulier aux travaux de Paul Boyaval et sa thèse de 1912 sur La lutte contre le sweating-system : le minimum légal de salaire. Pour lui le sweating-system, qui concernait en France au début du XXème siècle près de 1,5 millions de personnes essentiellement dans le textile, se manifestait par « des salaires exceptionnellement bas et insuffisants, une durée excessive de travail et des ateliers insalubres ». Dans ce contexte, la Cour de cassation a fixé, le 31 janvier 1901, une jurisprudence sur le marchandage qui fait encore autorité aujourd’hui en précisant qu’il réunit trois éléments : un fait matériel, une intention de nuire et un préjudice pour le travailleur. Par cette jurisprudence, la Cour de cassation valide le décret de 1848 en précisant sa portée. Aujourd’hui, l’article L. 8231-1 du Code du travail définit le délit de marchandage comme suit : « Le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application de dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail, est interdit. ». Il faudra attendre 1910 pour que le contrat de travail entre dans le champ lexical du droit avec l’adoption du livre I du code du travail qui abolit « l’ordre ancien du contrat de louage ». Le contrat de travail devient la clé de voûte du Code du travail et symbolise l’émergence du salariat. Il rassemble l’ensemble de ceux qui contribuent à la réalisation d’un produit et les lie à un employeur. Il fait disparaître le marchandeur qui engageaient des ouvriers et que le chef d’établissement ne connaissait pas.

 

Finalement, rien de bien neuf dans les souhaits de M. Koenig : la fin du salariat, le chacun pour soi, le retour du marchandage. Il n’interroge jamais les causes pour savoir pourquoi autant de chauffeurs refusent de travailler avec certaines plateformes. Car se poser la question, c’est arrêter de soutenir la rente de quelques plateformes. Bienvenue dans l'idéologie de la misère et dans la misère de l'idéologie.

Tag(s) : #Conflit Taxis - VTC - Plateformes
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